EUGNOSTE LE BIENHEUREUX
(NH III, 3 ; V, 1)
Traduction de Anne Pasquier
70 Eugnoste le Bienheureux aux siens : Réjouissez-vous ! Il m’agrée de vous apprendre que tous les humains qui furent engendrés depuis la fondation du monde jusqu’à aujourd’hui sont poussière : bien qu’ils aient cherché à connaître qui est Dieu et comment il est, ils ne l’ont point trouvé. Les Sages parmi eux tout particulièrement, se fondant sur le gouvernement du monde, ont produit une imitation de la vérité. Or l’imitation n’a pas atteint à la vérité.
Du gouvernement en effet on donne habituellement trois définitions chez tous les philosophes. Aussi sont-ils en désaccord. Car certains d’entre eux disent du monde que c’est de lui-même qu’il s’est organisé, d’autres, qu’il l’est par une providence, d’autres, qu’il l’est par ce dont on escompte l’arrivée (la destinée) et que ce n’est pas l’un quelconque de ces derniers. Ainsi, de ces trois voix dont j’ai parlé précédemment, aucune n’appartient à la vérité.
Car ce qui se produit de soi-même n’engendre qu’une existence vide. La providence est irréflexion, celle qui est imminente (la destinée), insensible.
En revanche, celui qui est capable de s’intérioriser, devenu extérieur aux trois voix dont j’ai parlé précédemment, de s’intérioriser grâce à une autre voix, de révéler le Dieu de la vérité et de mettre d’accord chacun à son sujet, lui est un immortel qui vit au milieu des mortels.
Celui-qui-est est indicible, nulle principauté ne l’a connu, nulle autorité, nulle puissance subalterne, nulle créature depuis la fondation du monde si ce n’est lui seul.
Celui-là est immortel ; il est éternel parce que sans engendrement : quiconque en effet est engendré se corrompra. Il est inengendré parce que sans principe : quiconque en effet a un principe a une fin ; il n’est aucun principat supérieur à lui. Il n’a pas de nom : qui a nom est en effet la création de quelqu’un d’autre ; il est innommé.
Il n’a pas apparence humaine : qui a apparence humaine est en effet la création de quelqu’un d’autre ; il possède une forme qui lui est spécifique, ne pouvant se comparer à la forme que nous avons reçue ou que nous avons vue, mais c’est une forme étrangère, distincte de toutes choses, supérieure aux Totalités, embrassant tout de son regard, ne contemplant qu’elle-même par elle-même. Il est illimité. Il est insaisissable.
Il est en permanence Un, étant incorruptible. Il est Un, n’étant semblable à rien. Il est d’une bonté inaltérable. Il est indéfectible. Il est en permanence Un. Il est bienheureux. Il est inconcevable, étant le seul à se concevoir. Il est incommensurable. Il est impénétrable. Il est parfait parce que sans déficience. Il est bienheureux, étant incorruptible.
On dit qu’il est le Père du Tout. Alors que ne s’était encore manifesté aucun de ceux qui sont manifestés, la Grandeur et les autorités existantes demeurent en lui, car il contient les univers des univers, aussi bien nul ne le contient. Celui-là est en effet tout entier intellect, pensée et délibération, réflexion, discours intérieur et puissance. Eux tous sont de puissance équivalente.
Ils sont les sources des Univers, et c’est dans la première connaissance de l’inengendré qu’existe leur descendance toute entière jusqu’à leur extrémité, car celle-ci n’était pas encore parvenue (au stade de) la manifestation.
Or quelque chose différenciait ces éons incorruptibles. Réfléchissons donc en ce sens : tout ce qui est né du corruptible se corrompra puisque né du corruptible. Ce qui est né de l’incorruptibilité ne se corrompra pas mais, du fait même qu’il est né de l’incorruptibilité, deviendra incorruptible. Ainsi une foule de gens se sont-ils égarés : pour avoir méconnu la différence que voilà, ils sont morts.
Aussi bien, parvenu à ce point, c’en est assez, puisque nul n’est en mesure de contester la nature des paroles que j’ai dites précédemment, celles du Dieu véritable, bienheureux et incorruptible.
Si donc quelqu’un désire avoir confirmation des paroles exposées, qu’il examine depuis ce qui est caché jusqu’à l’achèvement de ce qui est révélé, et cette réflexion lui enseignera comment on trouve la preuve des réalités non révélées dans le révélé.
Ceci est un principe de connaissance : le Seigneur du Tout, en vérité, n’est pas qualifié de Père mais de Pro-Père, le principe de ce qui est manifesté étant en réalité le Père. Voici. Celui-là, le Pro-Père qui est sans principe, c’est en lui qu’il se voit lui-même, comme en un miroir, car il apparut sous sa forme autogénératrice », c’est-à-dire comme « Engendreur de lui-même », et comme « Celui-qui-est-face-à-face », puisqu’il fait face au préexistant inengendré.
Certes, (l’Engendreur de lui-même) coexiste avec celui qui est vis-à-vis de lui, en revanche, il ne lui est pas équivalent en puissance. À sa suite, il révéla la multitude de Ceux-qui-sont-face-à-face, engendrés d’eux-mêmes, co-existants, de puissance équivalente, glorieux, innombrables, que l’on appelle : « La race sur qui nul ne règne parmi les royautés en place ».
Or, à la multitude entière en ce Lieu sur lequel nul ne règne, on donne le nom de « Fils du Père inengendré ».
Et lui, cet (être) inconcevable, [abondant] en toute gloire incorruptible [et] joie indicible, eux tous, qui trouvent en lui le repos, ne cessent donc d’exulter, dans une joie indicible, à cause de la gloire inaltérable, et dans l’allégresse sans mesure ; ce dont on n’entendit jamais parler et que l’on n’a pas même conçu en aucun des éons et leurs mondes.
Mais il suffit jusqu’à ce point !
Pour nous éviter de poursuivre à l’infini, voici un autre principe de connaissance, « par l’entremise de l’engendré ».
Le premier qui s’est manifesté avant le Tout dans l’illimité est un Père autocréé, autoconstitué, qui est plénitude de la Lumière illuminante, indicible : celui-ci conçut le principe pour que sa forme advienne dans une grande puissance. Et voici que se manifesta le principe de cette Lumière, sous la forme d’un Homme immortel androgyne. Son nom à caractère ma[sculin se d]it : « Le [monogène] parfait ». Son no[m à carac]tère féminin : « La Sagesse de toutes les Sagesses, la mère ».
On dit également d’elle que c’est son frère et conjoint qu’elle porte. C’est une vérité incontestable, — la vérité inférieure, en effet, est contestée par l’erreur qui est mêlée à elle.
Par l’entremise de l’Homme immortel se révéla une dénomination primordiale : « Divinité et Royauté ». Car le Père, dans la mesure où il est désigné comme : « L’Homme qui s’est procréé lui-même », manifesta ce que voici : il fonda pour lui un grand éon proportionné à sa grandeur.
Il lui conféra une grande autorité (et cet éon) régna sur l’ensemble des créatures : il créa pour lui des dieux, des archanges et des anges, des myriades innombrables à (son) service.
C’est donc par l’entremise de cet Homme-là qu’a commencé la Divinité [et la Royauté]. Aussi le nomme-t-on : « D[ieu des dieux], Roi des rois, le pre[mier] Homme ».
Il est la confirmation pour ceux qui allaient venir à l’existence après ceux-ci : il est pourvu d’un intellect qui lui est spécifique, d’une pensée semblable à ce qu’il est, de délibération et réflexion, discours intérieur et puissance, tous membres existants. Ils sont parfaits.
Ils sont immortels. Sous le rapport de l’incorruptibilité certes, ils sont égaux. Sous le rapport de la puissance, il y a une différence, comparable à la prééminence d’un père par rapport à un fils, d’un fils par rapport à une pensée, et de la pensée par rapport au reste ainsi que je l’ai décrit précédemment. Dans les générations, la monade est au principe.
À sa suite vient la dyade, puis la triade jusqu’aux dizaines. Les dizaines sont au principe des centaines, les centaines étant donc au principe des milliers et les milliers, des myriades : telle est la disposition chez les immortels. Il en est ainsi pour le premier Homme.
Sa monade est (Les pages 79-80 manquent ; voir le texte correspondant dans le Codex V 7,24-9,10)
81 Il (le Fils de l’Homme) façon[na pour lui-même des] anges, des myria[des innom]brables à (son) service. La multitude entière de ces anges est désignée du nom d’« Église des saints, les luminaires sans ombre ». Ceux-là, donc, lorsqu’ils s’embrassent mutuellement, leurs baisers deviennent des anges semblables à eux.
Le premier parent paternel est désigné du nom d’« Adam, l’Homme de Lumière ». Et d’une joie indicible le Royaume du Fils de l’Homme est empli ainsi que d’une allégresse inaltérable. Aussi se délectent-ils sans cesse, dans une joie indicible, de leur gloire incorruptible, telle qu’on en n’entendit jamais parler ni ne s’était manifestée à aucun des éons qui allaient venir à l’existence avec leurs mondes.
À son tour, le Fils de l’Homme s’unit dans un accord à la Sagesse, sa conjointe : il manifesta une grande Lumière andro[gyne. (Pour) son n]om à caractère masculin, [certains lui donnent] celui de « Sauveur, Parent universel ». Son nom à caractère féminin se dit : « Sagesse, Parente universelle ».
Certains la dénomment : « Foi ». A son tour, le Sauveur s’unit dans un accord à sa conjointe, la Sagesse nommée « Foi » : il manifesta six (entités) spirituelles androgynes, puisque telle est la figure de leurs prédécesseurs. Ces (entités) masculines, leurs noms sont les suivants : le premier est l’Inengendré, le second, l’Autoengendré, le troisième, le Père, le quatrième, le Premier Parent, le cinquième, le Parent universel, le sixième, le Père originel (ou : le Principe-Père).
De même, les noms des (entités) féminines sont les suivants : la première est Sagesse de toutes les sagesses, la seconde, Sagesse, Mère universelle, la troisième, Sagesse, Parente universelle, la quatrième, Sagesse, Première Parente, la cinquième, Sagesse Amour, la [sixième], Sagesse Foi. [Or, par suite de ces] accords dont j’ai parlé précédemment, se manifestèrent, dans les éons mentionnés, les pensées.
Des pensées, les délibérations, des délibérations, les réflexions, des réflexions, les discours intérieurs, des discours intérieurs, les vouloirs, des vouloirs, les paroles. Les douze puissances dont j’ai parlé précédemment, s’étant à leur tour unies, d’un commun accord, les unes aux autres, se manifestèrent les entités masculines, six par six, les féminines, six par six, de manière à former soixante-douze puissances.
Les soixante-douze manifestèrent chacune cinq entités spirituelles, ce qui fait trois cent soixante puissances. La réunion de tous constitue l’intervalle de temps.
Ainsi donc, de l’Homme immortel notre éon est devenu la réplique ; le temps est devenu réplique du Premier-Parent, son fil[s ; l’année], la réplique du [Sauveur ; les] douze mois, la réplique des douze puissances. Les trois cent soixante jours inclus dans chaque année, c’est des trois cent soixante puissances, qui se sont manifestées dans le Sauveur, qu’elles devinrent la réplique.
Les anges qui vinrent à l’existence à partir de ces dernières, et qui sont
innombrables, elles en devinrent la réplique, les heures avec leurs fractions.
Or, ceux dont j’ai parlé s’étant manifestés, leur père, le Parent universel, créa pour eux, en premier, douze éons à leur service avec les douze anges. Et dans tous les éons se trouvaient six cieux, en chacun d’eux, formant ainsi soixante-douze cieux relevant des soixante-douze puissances manifestées en lui (le Sauveur).
De plus, dans tous les cieux se trouvaient cinq firmaments, formant ainsi trois cent soixante fir[maments re]levant des trois cent soixante puissances manifes[tées] en elles (les 72 puissances). Lorsqu’ils eurent été complétés, les firmaments furent nommés : « Les trois cent soixante cieux », du nom des cieux qui les précèdent.
Bien que tous ceux-ci soient parfaits et bons, de cette manière néanmoins s’est manifestée la déficience de la partie féminine. Ainsi donc, le premier éon appartient à l’Homme immortel. Le deuxième éon appartient au Fils de l’Homme, qui est désigné comme « le Premier Parent ». Celui qui est appelé « le Sauveur », c’est celui qui contient ceux-ci : c’est l’éon sur qui nul ne règne, (éon) du Dieu « rempli d’éons », illimité, l’éon des éons des immortels qui sont en lui, le Lieu supérieur de l’Ogdoade qui s’est manifestée dans le chaos.
L’Homme immortel, quant à lui, manifesta des éons ainsi que des puissances et des royautés. Il conféra le pouvoir de créer ce [qu’ils] dé[sirent] à chacun de ceux qui se sont mani[festés en] lui, jusqu’aux « jours » qui sont supérieurs au chaos. Car, d’un commun accord, ceux-ci s’unirent : ils manifestèrent chaque Grandeur, puis, née de l’Esprit, une multitude de Lumières glorieuses, innombrables, qui reçurent nom dans le Principe, c’est-à-dire l’origine, (dans) le milieu (et) lors de l’achèvement, soit le premier éon, le deuxième et le troisième.
Le premier se nomme : « Unité, Repos ». Si chacun porte son nom, — en effet, il fut donné nom à l’Église dans les trois éons — c’est du fait de la multitude dans la multiplicité qui s’est manifestée à partir de la multitude unifiée. Voilà pourquoi, en raison de ce que la multiplicité se rassemble pour parvenir à une unité, elle est appelée : « Église », d’après l’Église supracéleste.
Voici pourquoi l’Église de l’og[doade fut mani]festée : comme elle [est] andro[gyne, elle [fut] nommée d’après (sa) fraction masculine et d’après (sa) fraction féminine : le mari a été nommé : « Église », la femme : « Vie », afin de manifester que par une femme la Vie se produisit en tous les éons.
Chaque nom qu’ils ont reçu depuis le Principe en concordance avec sa Pensée se manifesta, soit les puissances nommées : « Dieux » ; lesquels Dieux par leurs réflexions manifestèrent des « Dieux des Dieux » ; (ces) Dieux, à leur tour, par leurs réflexions manifestèrent des « Seigneurs » ; les Seigneurs des Seigneurs par leurs paroles manifestèrent des « Seigneurs » ; les Seigneurs par leur puissance manifestèrent des « Archanges » ; les Archanges manifestèrent des « Anges ».
Grâce à elle la forme spécifique apparut ainsi que configura[tion et forme], afin de donner nom à [tous] ces éo[ns avec] leurs mondes.
L’ensemble des immortels dont j’ai parlé précédemment ont tous la souveraineté du fait même de la puissance de cet Humain immortel et de la Sagesse, sa conjointe, elle que l’on a surnommée : « Silence ». Si on lui donna le nom de « Silence », c’est que dans une délibération sans paroles elle a atteint sa Grandeur en incorruptibilité.
Comme ils ont la souveraineté, ils disposèrent chacun à son usage, de grands royaumes dans tous les cieux immortels et leurs firmaments, trônes, temples proportionnés à leur Grandeur, certains même des demeures et des chars pleins de splendeur, indicibles, choses inexprimables par quelque créature que ce soit.
Ils disposèrent à leur usage des armées d’anges, des myriades innombrables à (leur) service et à (leur) gloire et en outre, des esprits virginaux d’une lumière indicible. Il n’y a pour eux ni peine ni impuissance, mais c’est un pur désir qui se réalise à l’instant même.
Ainsi furent complétés les éons, leurs cieux et leurs firmaments, à la gloire de l’Homme immortel et de la Sagesse, sa conjointe — le Lieu <du>quel tous les éons avec leurs mondes <portent l’empreinte> de même que ceux qui vinrent à l’existence à leur suite — pour que soient organisées, d’après les modèles de ce Lieu, leurs répliques dans les cieux du Chaos et leurs mondes.
C’est alors que toute la nature procédant de l’Immortel, depuis l’Inengendré jusqu’à la révélation au chaos, baigne dans la Lumière illuminante qui est sans ombre, dans une joie indicible et une allégresse ineffable, tandis qu’ils se délectent sans cesse de leur gloire inaltérable ainsi que du repos qui est sans mesure, ce qu’il est impossible d’exprimer et qu’on ne peut concevoir en aucun des éons qui vinrent à l’existence avec leurs puissances. Mais, parvenu à ce point, c’en est assez !
Tout ce que je t’ai dit précédemment, je l’ai dit d’une manière que tu puisses supporter, jusqu’à ce que Celui qui est incommunicable se manifeste en toi. Et alors, toutes ces choses, Il te les dira dans la joie et dans une pure connaissance.
Eugnoste le Bienheureux
...
W.K.P
Apocryphes Qumran. Fr
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